Notre Programme de Visite :

- Jour 1 : Musée national d'Angkor, la ville d'Angkor Thom, Temples (Thommanon, Chao Say Devoda, Taphrom, Banteay Kdei) et enfin piscine royale de Srah Srang

- Jour 2 :  Temples (Preah Khan, Neak Poan, Tasom, Mébon Oriental, Pre Rup) et le gigantesque complexe d'Angkor Vat. Le soir, dîner et spectacle musical

- Jour 3 : Temples de Banteay Samrè. Fabrication du sucre de palme. Village lacustre de Kampong Phluk

- Jour 4 : Wat Preah Ang Thom (grand Bouddha couché). Phnom Kulen : rivière des milles lingas, petite randonnée jusqu'au site de Sra Damrei

Plutôt que de vous présenter les photos jour par jour, on a préféré vous présenter les sites visités non pas dans l'ordre de nos visites mais dans l'ordre historique. Les textes ci-dessous (empruntés au site de Clio) seront donc intercalés avec nos "magnifiques photos".

Angkor et le pays khmer

 

Claude Jacques - Janvier 2009.

 

Directeur d’études à l’EPHE (IVe section) Conseiller spécial pour Angkor auprès du directeur général de l’Unesco

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Le parc archéologique d'Angkor permet d'admirer de très nombreux temples, mais ceux-ci, pas plus que Paris, n'ont été construits en un jour : l'histoire d'Angkor est souvent limitée aux quelques siècles qui ont laissé des monuments – du IXe au XVe à peu près : en réalité, le parc et ses environs immédiats recèlent quelques sites préhistoriques, et l'histoire d'Angkor peut certainement se prolonger au-delà du XVe siècle.

 

Plan du site : cliquez-ici

 

Une capitale qui s'est métamorphosée

C'est à la fin du siècle dernier que le site a été désigné sous le nom d'Angkor, qui signifie « capitale » ; les Khmers ne connaissaient qu'Angkor Thom, « la grande capitale » et surtout Angkor Vat, « la capitale qui est devenue un monastère », lieu de pèlerinage qui a survécu à travers les siècles. En fait, le site d'Angkor peut être défini comme la zone où un certain nombre de capitales successives ont été établies au long de quatre siècles, du IXe au XIIe, période durant laquelle les luttes pour le pouvoir ont amené les rois à des déplacements de capitale. On peut se rendre compte d'ailleurs que ceux-ci s'effectuent dans un ordre assez cohérent ; cependant la longue occupation des lieux a fait que les sites antérieurs ont souvent été en partie détruits par les suivants et que la lisibilité de l'ensemble n'apparaît pas au premier coup d'œil. Les Khmers appartiennent à ces peuples dont on ne connaît la civilisation que par leurs monuments, ici pratiquement tous religieux, et par leurs inscriptions lapidaires ; tout le reste a disparu, habitations humaines, faites essentiellement de bois, et bibliothèques, brûlées ou dévorées par les termites ou autres insectes. C'est dire qu'il y a de nombreuses lacunes dans notre connaissance de cette civilisation ; en tout cas, les inscriptions ont permis de rétablir au moins un squelette d'histoire, ce qui donne une chronologie sinon toujours absolue, du moins relative des monuments dont la beauté fait notre admiration.

 

Neuvième Siècle

L'œuvre du « roi des rois »

 

Située à une cinquantaine de kilomètres des temples d’Angkor, la chaîne des Kulen qui culmine à 500 mètres de hauteur est, pour les Cambodgiens, un lieu mythique et sacré. C'est là que naquit l’empire Khmer au neuvième siècle sous l’impulsion du roi Jayavarman II, le fondateur de cet empire, auto-proclamé « roi suprême des rois khmers » en 802, avec la création de la toute première capitale Mahendraparvata. Sur cette chaîne imprenable, en ces temps houleux le roi avait entrepris de réunifier les provinces indépendantes du Cambodge en introduisant le culte du dieu-roi (devaraja) dans le brahmanisme.

Le roi est la représentation de Shiva, le dieu supérieur de la trinité brahmaniste : Brahma, Shiva, Vishnu. Le souverain doit être adoré comme une divinité, avec des rites formels. Shiva et le roi-dieu partagent le même symbole religieux, le lingam phallique.

Plusieurs temples ont donc été érigés aux Kulen en plus de nombreuses sculptures réalisées par des ermites dans des lieux reculés.

 

Notre guide nous a conduit notamment à un endroit appelé Le bassin de l’Eléphant (Sra Damrei). Nous sommes surpris par la taille des sculptures dans la masse réalisées au IXème siècle. Un éléphant grandeur nature, ainsi qu’une grenouille et deux lions forment un ensemble encore intact.

Auparavant, nous étions passé devant la rivière aux mille lingas. Ce même roi Jayavarman II avait fait sculpter, dans le lit de la rivière qui prend naissance sur la montagne de Kulen, des milliers de représentation de Shiva sous sa forme de linga (phallus). Cela avait comme résultat la sanctification de l’eau lustrale, et donc garantissait, dans leur logique religieuse, le bon esprit des hommes et l’assurance de bonnes récoltes ! L'eau sanctifiée par le roi-dieu était donc responsable du bon rendement des récoltes !

Puis Jayavarman II partit s’installer dans la région des Roluos, tout près de Siem Reap pour y fonder une nouvelle capitale.

À la fin du même siècle, la région de Roluos était émaillée de temples de tailles diverses ; les plus importants, construits ou améliorés par le roi Indravarman Ier (877-888 environ), sont le Bakong, le premier grand temple d'État, abritant les dieux de l'empire, et Preah Kô, plus modeste mais fort beau, abritant les mânes des anciens rois protecteurs de l'empire. Mais à sa mort ses héritiers se déchirent, la capitale est détruite et il faut la rebâtir ou en construire une autre. Cette dernière solution étant retenue, c'est alors la naissance de la première grande capitale sur le site d'Angkor proprement dit, implantée autour du Phnom Bakheng et de son temple-montagne, et aussi la construction du Baray oriental, immense avec ses 7,5 kilomètres de long et 1,8 kilomètres de large – un baray est un bassin qui n'est pas creusé mais dont l'eau est mise en réserve entre des digues plus ou moins puissantes.

Dixième Siècle

Une histoire mouvementée et parfois obscure

 

Une deuxième capitale allait apparaître au milieu du Xe siècle, après que le pouvoir se fut installé pendant une vingtaine d'années hors d'Angkor. Le nouveau site fut choisi au sud du Baray oriental, autour du temple-montagne de Prè Rup ; cette nouvelle capitale ne dura guère : une révolte mit fin à son statut en même temps qu'au règne du roi constructeur, Râjendravarman (944-968).

Le Pré Rup

Le Prè Rup est d'un plan proche de celui du Mébon oriental édifié un peu plus tôt (953) par le même roi et de dimensions comparables (Photos : Cliquez-ici)

Et son fils Jayavarman V (968-1000) décida de s'installer à l'ouest du Baray, autour du temple de Ta Keo, créant ainsi une troisième capitale. Un Temple remarquable Banteay Srei (la citadelle des femmes)  a été construit au Xe siècle dans du grès rose et de la latérite, et probablement consacré en 967, sous le règne de ce même Jayavarman V et dédié à Tribhuvanamaheśvara (le Seigneur des Trois Mondes).

 

Onzième Siècle

Le Plan d'Angkor Thom : Cliquez-ici

 

Le Palais Royal

Cependant, les dix premières années du XIe siècle allaient être houleuses : deux rois se disputèrent le pouvoir suprême et la guerre fut dure à travers l'empire. Le vainqueur, Sûryavarman Ier (1002-1050), se fit construire un palais bien protégé entre ses murs – l'actuel Palais Royal d'Angkor Thom – au milieu duquel un « petit » temple d'État était érigé, le Phimeanakas. Ce roi fit aussi construire un « super-baray », le Baray occidental, mesurant cette fois 8 kilomètres de long sur 2,2 kilomètres de large : restauré, il est encore en service sur plus de la moitié de sa longueur, et sa réserve de plusieurs millions de mètres cubes d'eau sert à irriguer les rizières des environs. C'est probablement aussi ce roi qui commença le temple du Baphoun, magnifique temple-montagne restauré récemment par l'École française d'Extrême-Orient. Ce temple fut achevé par le fils de Sûryavarman, Udayâdityavarman II (1050-1066).

 

Le Temple du Baphoun

Phimeanakas

Douzième Siècle

L'histoire d'Angkor devient alors plutôt obscure : on connaît des noms de rois khmers, mais il n'est pas certain qu'ils aient régné depuis Angkor, même si on ne sait guère où ailleurs placer leur capitale. Cependant le retour à Angkor fut prestigieux : un jeune roi, Sûryavarman II (1113 – vers 1150) va réunifier l'empire une fois de plus désorganisé et se faire construire une capitale et un temple d'État : ce sera Angkor Vat, le chef-d'œuvre de l'architecture et de l'art khmers. 

 

L'Album d'Angkor Vat : Cliquez sur la photo

D'ailleurs, le pays est riche et d'autres temples apparaîtront sur le territoire d'Angkor : Thommanon, Chau Say Tevoda, un peu plus loin Banteay Samrè, puis, à une trentaine de kilomètres, le grand site de Beng Mealea (non visité) difficile à visiter, surtout en saison des pluies.

 

Avant Angkor Vat, Suryavarman II se fît la main avec la construction de Banteay Samrè que l'on considère comme la maquette d'Angkor Vat (comme lui : grande tour centrale et galerie couverte à voutes de pierre)

 

Thommanon

 

Chao Say Devoda

Suivront des règnes dont on ne sait à peu près rien, ceux de Yaçovarman II et de Tribhuvanâdityavarman, mandarin qui assassina le premier en 1166 pour prendre le trône. Il en fut puni une quinzaine d'années après : la zizanie régnait dans le pays et, en 1177, Angkor fut envahie par un roi cham et des complices khmers.

 

Jayavarman VII, roi belliqueux, mais surtout bâtisseur 

C'est alors que survint le roi Jayavarman VII, qui reprit Angkor après avoir vaincu les envahisseurs. Même si l'on peut dire aujourd'hui qu'on a sans doute attribué trop de constructions à ce roi, il demeure qu'il fut un des plus grands du Cambodge ancien.

D'abord, fervent bouddhiste, il fut un constructeur infatigable. Il voulut surtout une capitale bien défendue et ce fut Angkor Thom. Avant lui, les capitales s'étaient succédé à un rythme plutôt soutenu, mais il apparaît clairement que ces villes avaient des défenses fragiles. Implantée sur un carré de trois kilomètres de côté, Angkor Thom était entourée de murailles épaisses de huit mètres de hauteur, bordées à l'extérieur d'une douve de près de cent mètres de large, et sur l'intérieur d'un glacis formant chemin de ronde : c'était la première fois dans l'histoire khmère que l'on fortifiait ainsi une ville, et ce fut d'ailleurs la seule. Après Jayavarman VII, et quelles qu'aient été les péripéties politiques, les rois ont conservé cette capitale jusqu'à l'abandon du site. Au centre de la capitale, suivant la tradition, il fit ériger l'étonnant Bayon, qui n'est pas un temple bouddhique, comme on a l'habitude de le dire, mais un complexe religieux recelant toutes les divinités importantes du Cambodge : le cœur du sanctuaire abritait certes le Bouddha mais, dans le massif central, on trouvait aussi les dieux hindous Çiva et Vishnu, ainsi que les mânes des anciens rois, protecteurs éminents de l'Empire khmer.

 

Ci-dessous : pour Angkor Thom

La Porte Sud - Le Temple du Bayon

Cliquez sur les images

 

D'autre part, il restaura le palais royal et sa grande terrasse orientale, en fait le soubassement de la « salle du Trône », la Terrasse des Éléphants. Il semble pourtant que la fameuse Terrasse du Roi lépreux doive être attribuée plutôt à Jayavarman VIII, qui régna dans la seconde moitié du XIIIe siècle.

 

La Terrasse des Elephants

 

La Terrasse du Roi Lépreux

 

Avant Angkor Thom, Jayavarman VII avait fait construire, pour honorer la mémoire maternelle, le temple de Ta Prohm, dont la divinité principale était sculptée sous les traits de sa mère, ce qui ne signifie pas que sa mère était divinisée.

 

 

Le Temple Boudhiste de Taprohm célèbre grâce aux racines aériennes des arbres appelés "fromagers"

 

Il avait construit la ville de Preah Khan sur l'emplacement du palais royal de ses prédécesseurs immédiats et avait fait élever en son centre un temple du même nom, dédié à la mémoire de son père, qui donna ses traits à la divinité centrale, le Bodhisattva Lokeçvara. Il n'est pas certain que Jayavarman VII ait été le grand guerrier que l'on a dit : il a chassé les Chams et leurs alliés d'Angkor, mais il ne paraît pas avoir tenu fermement le pays, sinon dans la partie aujourd'hui thaïlandaise. D'ailleurs la fortification de sa capitale montre assez que la situation politique était incertaine. Sur le plan social, il fit établir de nombreux hôpitaux et ordonna surtout d'y construire une chapelle au Bouddha guérisseur, Bhaishajya-guru, le « Maître des remèdes ». Deux d'entre elles, Ta Prohm Kel (nonn visité) et la chapelle de l'Hôpital (Neak Poam), sont encore visibles, malgré leur état de ruine. Il améliora aussi certainement le réseau routier de son empire.

 

 

 

Il fît construire également le temple de Banteay Kdei, le premier monastère boudhiste de la période angkorienne

Du bouddhisme à l'hindouisme...

 

Bien d'autres monuments d'Angkor ont été érigés durant cette période mais Jayavarman VII n'a pas construit tout ce qu'on lui attribue ; de plus, Angkor n'a certainement pas commencé sa décadence à sa mort. La situation politique troublée du XIIIe siècle est la cause des hésitations des historiens. Le successeur de Jayavarman VII, bouddhiste lui aussi, continua son œuvre, mais à sa mort – naturelle ou provoquée ? – apparut un roi Jayavarman VIII qui venait d'une famille hindoue et qui bannit le bouddhisme avec une intolérance exceptionnelle au Cambodge : plusieurs dizaines de milliers de figures de Bouddha ont été bûchées, accompagnant certainement la destruction de beaucoup de statues. Cependant ce roi ne se contenta pas de tenter de détruire le bouddhisme ; s'il ne semble guère avoir construit de nouveaux temples hindous, il fit procéder en revanche à nombre de restaurations et de modifications dans ceux qui existaient, notamment à Angkor Vat et au Bapûon, les deux plus grands. Mais sa haine pour le bouddhisme et, probablement de façon plus politique, pour ses deux prédécesseurs fut telle qu'il fit détruire aussi tous les témoignages écrits : c'est ainsi que l'on ne dispose plus d'aucune archive sur cette époque, ce qui ne signifie évidemment pas décadence, mais simplement ignorance.

 

... et d'une capitale à l'autre

 

Angkor revint au bouddhisme dès l'avènement de son successeur, mais au bouddhisme du Theravâda, qui est resté la religion actuelle du Cambodge. Elle n'avait pas besoin de sanctuaires construits en pierre, se contentant de constructions en matériaux légers – surtout du bois – qui ont disparu au cours des siècles ; une fois de plus, on a cru à la disparition subite de l'ancienne civilisation : il n'en est rien et un bon nombre de faits viennent témoigner de la vitalité d'Angkor, sans doute jusqu'à la fin du XVIe siècle. Mais un autre royaume s'était installé dans le sud du Cambodge, et la division de l'Empire khmer n'a laissé aux rois d'Angkor qu'un domaine réduit.

 

Angkor est magnifique, il est vrai, et j'ai rarement vu un touriste regretter son voyage. Pourtant, ce site merveilleux ne représente qu'une proportion relativement modeste de l'ensemble archéologique khmer. Surtout, sa caractéristique de site de capitales lui donne un trait bien particulier : il reflète toutes les vicissitudes de la royauté khmère à travers les siècles. D'autres lieux nous parlent de la civilisation des Khmers, non seulement au Cambodge, mais aussi en Thaïlande, avec de nombreux temples dans le nord-est, en particulier Phimai et Phnom Rung, sans parler de l'accès au site féerique de Preah Vihear – cambodgien mais plus facile à atteindre de ce côté de la frontière – et au Laos avec le site merveilleux de Wat Phu. Ceux-ci ont été souvent plus éphémères et, comme on ne dispose que rarement de documentation écrite, ils posent de graves questions aux historiens. Ils n'en méritent pas moins d'être visités : outre les monuments proches de Phnom Penh, par exemple Oudong au nord, ou le Phnom Chisor au sud, ou encore Vat Nokor à l'est, le site de Sambor Prei Kuk près de Kompong Thom ne pose plus guère de problème d'accès, sinon peut-être en saison des pluies. On y peut découvrir, à côté des monuments, la campagne khmère, ses forêts, ses montagnes, éventuellement sa mer. Souhaitons que dans un proche avenir on puisse découvrir les monuments plus difficiles d'accès, comme Banteay Chmar, dans le nord-ouest du pays. Mais on devra attendre encore pour parvenir à des sites comme Koh Ker ou Preah Khan de Kompong Svay, pratiquement inaccessibles aujourd'hui.

Claude Jacques

Janvier 2009

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